Ohé, gamin. GAMIN ! » Sora sursauta, tomba du hamac dans lequel il s'était installé au préalable et ouvrit difficilement un œil. La lumière du soleil lui arracha la rétine, et il essuya une plainte, la bouche pâteuse comme chaque fois qu'il faisait l'erreur de faire la sieste après une pause cigarette. Le "gamin" du Black Key s'assit en tailleur dans le sable de l'île, leva les yeux vers les trois imposantes formes qui se montraient à lui, et sut aisément reconnaître la dégaine de trois des membres de l'équipage. « T'as une petite mine aujourd'hui, gamin. » lâcha l'un d'entre eux, le sourire aux lèvres. Ces gars-là n'étaient pas méchants en soi... mais tout était plutôt relatif chez les pirates. Personne n'était réellement méchant avec Sora, après tout c'était encore un gosse aux yeux de tous, même ceux qui n'avaient qu'à peine deux ans de plus que lui. Le jeune pirate se frotta la nuque, soudain pris de petites courbatures dûes à la mauvaise position qu'il avait adoptée – avant d'être un pirate, il avait été un gosse de riche après tout. « Ça fait longtemps que je dors ? » demanda-t-il d'une voix rauque. On lui tendit une main qu'il saisit volontiers, et la poigne de fer de son collègue le ramena vite dans la réalité. Il se cogna avec force contre son torse en béton armé, et ses yeux bleus s'agrandirent sous le choc. « T'es tout frêle, sale gosse ! Va falloir muscler un peu tout ça au lieu de pieuter ! » Sora fit la moue, regarda autour de lui et demanda à l'armoire à glace de le lâcher. Lorsqu'il leur demanda ce qu'ils étaient venus trafiquer là, les trois pirates s'étaient regardés, puis avaient esquissé le même sourire. « 'Paraît qu'il y a des tas de trésors dans la Mangrove... mais on a besoin d'un gringalet pour y entrer. Du coup on a pensé à toi. » Sora haussa des sourcils, vexé par ce qu'il venait d'entendre. La tape dans le dos qu'il reçur à cet instant lui coupa le souffle, et on ne lui laissa pas le temps de refuser que les trois compères l'avaient saisi sous leurs bras imposants et traînés jusqu'à l'un des petits navires amarrés sur le port de l'île.

C'était de cette manière que Sora avait été contraint de se faufiler à travers de l'eau qui ressemblait plus à de la boue qu'autre chose et dont l'odeur et la texture ne lui inspiraient aucune confiance. Ruminant contre les joyeux lurons qui l'avaient envoyé dans cette quête et qui, alors que le flibustier galérait entre les racines de la mangrove, devaient très certainement être en train de vider les barils de rhum tels les pirates de l'Histoire, hurlant à tue-tête des chants pirates qu'ils connaissaient par cœur. Une racine mal calée lui rentra dans la tête lorsqu'il tenta de la dégager d'un geste trop brusque de la main, le projetant si violemment qu'il s'enfonça dans l'eau. Enfin l'eau... c'était un bien grand mot. « Saloperie de... raaah ! » pesta-t-il en se levant, ôtant son t-shirt fichu pour le laisser flotter sur l'eau. Il avait déjà abandonné ses chaussures sur le navire, et à ce rythme il allait finir par se retrouver en caleçon, cherchant un coffre abandonné quelque part au fond de ces eaux marécageuses qui lui arrivaient au ventre. « Ils auraient jamais eu la place de passer, ces abrutis... » pensa-t-il à voix haute tandis qu'il traversait entre deux racines collées l'une à l'autre. Il plongea les mains dans "l'eau" et chercha à tâtons un coffret, ou n'importe quoi susceptible de contenir des pièces d'or ou des objets qu'il était possible de revendre. Mais il fallait qu'il se rende à l'évidence : il allait y passer des heures.

Il aurait pu refuser, et sans doute l'aurait-on laissé tranquille s'il avait simplement dit qu'il n'était pas motivé. Seulement, il n'était pas venu juste pour trouver un trésor ; à la limite le gain ne l'intéressait pas plus que ça, il pourrait survivre sans. Sora était là dans l'espoir de trouver une sirène, car Dieu savait à quel point les enchanteresses aimaient traîner dans les parages, pour se divertir avec la naïveté des hommes. Ces hommes qui devenaient si faibles en leur compagnie. Et si Sora cherchait à tout prix une sirène, c'était parce qu'elles étaient les seules à pouvoir l'aider quant à sa quête véritable, à savoir celle de retrouver sa précieuse Nymeria. Il n'était pas passé un seul jour sans que ses pensées ne se soient tournées vers elle. Aujourd'hui encore, il se rendait compte à quel point il avait été idiot de la laisser partir, maintenant qu'il savait Ô combien il était difficile de vivre sans elle. Trop occupé à penser à ce qu'il ferait s'il croisait réellement l'une des créatures marines, Sora trébucha et atterit face la première dans la vase puante. Il se releva une nouvelle fois, grimaçant de dégoût et recrachant ce qui lui collait sur les lèvres. « Pff, c'est dégueulasse ! » s'exclama-t-il en ouvrant les yeux avec difficulté. Ne restait plus qu'à trouver un point avec de l'eau véritable histoire de se rincer un peu le visage... ce qui était peine perdue dans ce coin de la Mangrove. Le trajet se solda d'insultes adressées à tout ce qui l'avait amené ici – excepté Nymeria, dont prononcer le nom était devenu douloureux – et c'est couvert de boue de la tête aux pieds au'il tomba nez à nez avec une sirène. Le pirate ne s'en rendit pas compte tout d'abord, et il fallut qu'il passe un coup de main sur son visage pour dégager le surplus de vase répugnante pour se rendre compte de ce qu'il voyait. Accoudée à ce qui ressemblait à un coffre – Sora ne fit pas le lien de suite – la délicieuse créature le fixait, sa nageoire caudale se balançant lentement de droite à gauche au-dessus de sa tête, le regard plein de sensualité mystérieuse comme elles semblaient toutes savoir le faire.

« La Mangrove est dangereuse pour qui n'est pas habitué à s'y déplacer. Chercherais-tu quelque chose, humain ? » Il baissa les yeux vers l'eau, qui semblait légèrement moins trouble que ce qu'il avait pu voir jusqu'à présent. Le jeune homme haussa des épaules et plongea les mains dans l'eau, pour finalement se rincer le visage comme il pouvait. « Ça va, j'le connais votre numéro. » lança-t-il lorsqu'il eut terminé. Son regard céruléen se posa sur la sirène. « Si tu veux me noyer, essaye. C'est pas la première fois. » Sora n'était pas insensible au charme des sirènes... mais il était tellement fou de l'une d'elles qu'il ne semblait pas voir les autres. Il passa une main dans ses cheveux avec cette nonchalance qui lui donnait l'impression qu'il se fichait de tout, même de mourir. Alors que c'était la dernière chose qu'il avait prévue de faire, évidemment. Il fallait qu'il retrouve son père, réunisse ses parents et surtout, il se devait de tenir sa promesse. Et après seulement, il aurait le droit de mourir. En attendant... c'était un butin qu'il cherchait. « Sympa ce truc... c'est un coffre ? » Bien sûr que c'en était un. Mais à trop vouloir faire le malin, il allait finir par réellement couler, s'il continuait.